Les lettres

 

Maxime Le Forestier 

CD N° 3 

1975

                                7:30

Auteur : Maxime Le Forestier

Compositeur : Maxime Le Forestier

 

 Le N°3 est le disque studio le plus dépouillé de Maxime si l'on excepte les magnifiques 12 petits bonheurs posthumes de Georges Brassens enregistrés à Hoton en 1996 avec juste une guitare acoustique. Sur cette chanson, Patrice Caratini à la contrebasse et Alain Le Douarin à la guitare solo sont d'ailleurs très discrets. La mélodie  de Les lettres est toute en retenue. L'impression générale rapproche sans aucun doute cette chanson de la contre culture venue de la côte Ouest américaine. Il y a du David Crosby,du Joan Baez, dans le propos et dans la forme. La voix est censée porter en alternance les paroles d'un homme à la guerre et de sa femme qui attend son retour. Et au dernier couplet, Maxime devient comme un témoin hors du temps d'un final poignant et hélas, prévisible. Sûrement pas facile à imposer sur scène une telle chanson ! La superbe pochette du 33 tours était l'oeuvre de Cabu, un autre partisan forcené de l'antimilitarisme. Les années ont passé et on peut écrire que Maxime a abandonné un certain nombre de principes qu'il défendait alors ( les concerts à 10 francs ! la contestation "de gauche" ) mais il reste ancré sur un antimilitarisme viscéral. Il ne chante plus depuis longtemps Les lettres et encore moins Parachutiste. Mais il a enregistré La chanson de Craonne en 2003 sur un mini CD de soutien à la diffusion confidentielle.

 


  

Avril 1912,  ma femme, mon amour
Un an s'est écoulé depuis ce mauvais jour où j'ai quitté ma terre.
Je suis parti soldat comme on dit maintenant.
Je reviendrai te voir, d'abord de temps en temps
Puis pour la vie entière.
Je ne pourrai venir sans doute avant l'été.
Les voyages sont longs quand on les fait à pied.
As-tu sarclé la vigne ?
Ne va pas la laisser manger par les chardons.
Le voisin prêtera son cheval aux moissons, écris-moi quelques lignes.
 
Hiver 1913, mon mari, mon amour
Tu ne viens pas souvent, sans doute sont trop courts
Les congés qu'on te donne
Mais je sais que c'est dur, cinquante lieues marchant
Pour passer la journée à travailler aux champs, alors, je te pardonne.
Les vieux disent qu'ici, cet hiver sera froid.
Je ne sens pas la force de couper du bois, j'ai demandé au père.
Il en a fait assez pour aller en avril
Mais penses-tu vraiment, toi qui es à la ville
Que nous aurons la guerre ?
 
Août 1914, ma femme, mon amour
En automne au plus tard, je serai de retour pour fêter la victoire.
Nous sommes les plus forts, coupez le blé sans moi.
La vache a fait le veau, attends que je sois là pour le vendre à la foire.
Le père se fait vieux, le père est fatigué.
Je couperai le bois, prends soin de sa sant, je vais changer d'adresse.
N'écris plus, attends-moi, ma femme, mon amour
En automne au plus tard je serai de retour pour fêter la tendresse.
Hiver 1915, mon mari, mon amour
Le temps était trop long, je suis allée au bourg
Dans la vieille charrette.
Le veau était trop vieux, alors je l'ai vendu
Et j'ai vu le vieux Jacques, et je lui ai rendu le reste de nos dettes.
Nous n'avons plus un sou, le père ne marche plus.
Je me débrouillerai, et je saurai de plus en plus être économe
Mais quand tu rentreras diriger ta maison
Si nous n'avons plus rien, du moins nous ne devrons
Plus d'argent à personne.
 
Avril 1916, ma femme, mon amour
Tu es trop généreuse et tu voles au secours
D'un voleur de misères
Bien plus riche que nous. Donne-lui la moitié.
Rendre ce que l'on doit, aujourd'hui, c'est jeter l'argent au cimetière.
On dit que tout cela pourrait durer longtemps.
La guerre se ferait encore pour deux ans, peut-être trois ans même.
Il faut nous préparer à passer tout ce temps.
Tu ne fais rien pour ça, je ne suis pas content
Ça ne fait rien, je t'aime.
 
Ainsi s'est terminée cette tranche de vie,
Ainsi s'est terminé sur du papier jauni, cet échange de lettres
Que j'avais découvert au détour d'un été
Sous les tuiles enfuies d'une maison fanée, au coin d'une fenêtre.
Dites-moi donc pourquoi ça s'est fini si tôt.
Dites-moi donc pourquoi, au village d'en haut
Repassant en voiture,
Je n'ai pas regardé le monument aux Morts
De peur d'y retrouver, d'un ami jeune encore, comme la signature.

 

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