Blessure


       Georges Moustaki

     33T Moustaki

&

Flairck 

1982

                                                     7:11                   

  Auteur : Georges Moustaki

Compositeur : Georges Moustaki 

Moustaki a toujours fait dans la chanson concise…sauf pour ce disque Moustaki et Flairck de 1982 dans lequel trois titres (Blessure, La route et l'Amour en passant) dépassent allégrement les 7 minutes et deux autres dépassent aussi les 6 minutes. Cette Blessure commence par une flûte mêlée à une sourde rythmique avant l'entrée des violons. C'est donc l'occasion de mettre en avant le groupe allemand Flairck qui l'accompagne brillamment tout au long de ce disque. Ce groupe créé autour du guitariste Erik Visser enrichit donc la panoplie musicale des disques de Georges Moustaki, le plus souvent centrés sur l'accompagnement guitare des mélodies de Georges. En dehors de cette superbe enveloppe musicale, on retrouve le ton habituel de l'artiste...et on en est heureux.

La musique est guillerette, rythmée par le son du fifre, comme en porte à faux par rapport à ce son proche de celui des bottes marchant au pas qui reviennent épisodiquement. Réminiscence d’un temps qui a laissé une blessure, rappelée en trois simples couplets, concis. 

  



 





Aussi longtemps que je vivrai
Je garderai au bord des lèvres
Une blessure
Comme un sourire désenchanté
Viens, pose tes mains sur mon front
Pose ta bouche sur mes lèvres
Même si tu n'y peux rien
Mon amour

Aussi longtemps que je vivrai
Je garderai au coin des yeux
Une blessure
Comme une larme retenue
Viens, pose tes mains sur mon front
Pose ta bouche sur mes paupières
Même si tu n'y peux rien
Mon amour

Aussi longtemps que je vivrai
Je garderai à fleur de peau
Une blessure
Comme une fleur de sang séché
Viens, pose tes mains sur mon front
Pose ta bouche sur ma peau
Même si tu n'y peux rien
Mon amour
 

 
 
 
 

Alertez les bébés !


       Jacques Higelin

     33T Alertez les bébés !

1976

                   10:10                   

  Auteur : Jacques Higelin

Compositeur : Jacques Higelin

Pour Higelin Alertez les bébés !, le disque, c’est la sortie de la période binaire d’ Irradié  et de  BBH75, celle ou l’ancien chanteur Rive gauche avait laissé place au rockeur révolté. Maintenant il veut faire du plus perso, quelque chose qui pourra marier ses différents penchants : contestataire, poésie, rock et gouaille. Et c’est ce qu’on retrouve dans cet album, le véritable tournant dans sa carrière. Mais la chanson Alertez les bébés ! choisie est à part parmi les 10 titres enregistrés. un fan a écrit : "LA chanson du 20ème siècle, si vraie et si actuelle...". Les paroles lui sont arrivées une nuit  alors qu’il était dans un état second, au point qu’il ne se considéra que comme le « passeur » et non pas l’auteur du texte. Quand à l’enregistrement, c’est seul dans le studio et seul au piano qu’il fut bouclé. Cette longue chanson cri du cœur, il l’a faite les tripes sur la table, pour que les générations futures puissent vivre dans un monde pacifié écrira Glenn Dale. En réécoutant ce protest song aujourd'hui, je retrouve dans la voix de Jacques des réminiscences du Joe Cocker de la même époque. Son jeu de piano rappelle d’ailleurs aussi le rythmé de celui de Chris Stanton le complice de Cocker des seventies. Des mauvaises langues y verraient peut-être d'autres similitudes ! Ici, « le dernier des ringards, celui qui se plante toujours comme un vrai salop » s’en sort plutôt pas mal puisque l’enregistrement fut fait en une seule prise !





 


Guy Monnet 2018      
Les gens épouvantés
Fuient le mal qui est en eux
Quand vous en croisez un dans le désert
Il trouve encore moyen de détourner les yeux
Car son frère lui fait peur
Il a honte de son frère
Alors il se précipite en pleurant
Dans les bras du premier Colonel Papa venu
Qui lui jure la guerre
Qui lui promet torture et prison, oh
Pour celui qui a fait à son rejeton
L'affront d'un regard
L'affront d'un regard d'amour, yeah
Alertez les bébés!
Alertez les bébés!
Moi
Je veux plonger mon poing
Dans ta gueule ouverte
Et te l'enfoncer jusqu'au cœur
Jusqu'aux tripes
Et te les arracher
Et les brandir à la lumière du soleil
Oh, alertez, alertez
Alertez les bébés!
Alertez, alertez
Alertez les bébés!
Alertez les bébés!
J'ai vu un jour
Cent mille enfants, yeah, yeah
Serrer dans leur poing
L'étendard de l'amour révolté, oh yeah
Le vent dansait dans leurs cheveux
Et leur voix faisait trembler les murs de Babylone
Comment veux-tu que l'espoir capitule
Et qu'on retourne après ca
Jeter en pâture aux chacals et aux requins
Ce pur élan de vie, oh, oh
Jeter en pâture aux chacals et aux requins
Ce pur élan de vie
Ce cri de rage
Oh, alertez les bébés!
Alertez les bébés!
Alertez, alertez, alertez les bébés!
Les rapaces de la mort
Se sont châtré les ailes
Et ils traquent leurs petits
Dans les corridors des cités grises
Des sacs de mensonges
Et des matraques à la main
Ils font la chasse à l'identité
Eux qui ont égaré la leur
Dans les basses-fosses de paperasses, oh!
Eux qui ont égaré la leur
Dans leurs entrailles repues de viande assassinée
Oh, oh, oh, alertez les bébés!
Oh, alertez, oh, oh, les bébés, yeah
Alertez, alertez les bébés
Mais les rapaces de la mort se retournaient déjà
Ivres de massacres
Que nous avions pris le temps
D'alerter les bébés
Et de construire avec les bébés
Un mur de lumière
Qui fusille de clarté
Les yeux clos des morts-vivants
Des morts-vivants
Les yeux clos des morts-vivants, morts-vivants
Morts-vivants, morts-vivants
Morts-vivants, vivants, vivants, vivants, vivants
Oh, vivants, vivants, vivants
Alertez, alertez les bébés!
Les bébés!
Alertez, alertez
Alertez, alertez les bébés, yeah!
 

 
 
 
 

Le témoin magnifique

         
    William Sheller
    CD Ailleurs
1989
07 : 56 
  

Auteur : William Sheller

Compositeur : William Sheller
 
Peut-être que je triche en choisissant ce titre Le témoin magnifique sur le disque Ailleurs car il se décompose en 3 parties : 1 -Prélude à tempo d'un jogger, 2- Cadenza del Sol et 3- Chant du témoin, et seul le dernier mouvement est chanté. Mais admettez que ces 3 mouvements représentent quand même un tout et que c'est superbe. Les violons du premier et le violoncelle du second sont beaux à pleurer. C'est classique bien sûr, mais où est le problème. Et puis, des chansons belles et longues comme celle-là, le William, il en a écrit une demi-douzaine dont Symphoman et La Navale par exemple. Lui aussi a eu Gérard Manset comme producteur à ses débuts. Ceci explique-t-il qu'il soit aussi friand de chansons à rallonges ? Non, c'est davantage le souffle du musicien qui a fait ses preuves dans les oeuvres pour orchestre qui dicte le format. Il a d'ailleurs donné l'année suivante son Concerto pour violoncelle avec 70 musiciens. Mai il sait aussi faire des choses plus musclées comme Albion ou plus étrange comme Les machines absurdes. Alors entrez dans la musique de William Sheller, c'est découvrir d'autres perles du niveau de Un homme heureux.  
 

 

Autobiographie


 
 
    Charles Aznavour
    CD Autobiographie
  1996
  07:07
 
Auteur: Charles Aznavour
Compositeur :  Charles Aznavour
 
 Il a tant fait pour la chanson française depuis 50 ans, qu'il mériterait bien qu'on lui écrive une biographie. Inutile, puisqu'il se l'est écrit son Autobiographie…sous la forme d'une chanson fleuve contenue dans un CD de titre éponyme, la seule me semble-t-il qu'il ait écrit de ce format au côté des centaines écrites au format standard. Le plus français des arméniens d'origine ( ou le plus arménien des français ) y fait une large place à ses origines justement. La musique est totalement aznavourienne, ce qui est bien sûr un compliment adressé à celui qui a composé La mama, Trousse-chemise, Comme ils disent  , Emmène-moi ...et tellement d'autres chansons devenues intemporelles. Le "mystère Aznavour" c'est d'émouvoir musicalement sans sembler avoir les arguments pour y parvenir et ça marche très souvent. C'est pareil comme acteur : pourquoi ses personnages d'homme humble dans "les fantômes du chapelier" ou "Le Tambour" restent-t-ils encrés dans la mémoire alors qu'ils n'étaient que des seconds rôles dans ces films ? La réponse est peut-être dans les premier vers de cette chanson : "J'ai ouvert les yeux sur un meublé triste / Rue Monsieur Le Prince au Quartier Latin / Dans un milieu de chanteurs et d'artistes /Qu'avaient un passé, pas de lendemain." Du vécu.
 

 

 

J'ai ouvert les yeux sur un meublé triste
Rue Monsieur Le Prince au Quartier Latin
Dans un milieu de chanteurs et d'artistes
Qu'avaient un passé, pas de lendemain
Des gens merveilleux, un peu fantaisistes
Qui parlaient le Russe et puis l'Arménien
Si mon père était chanteur d'opérette
Nanti d'une voix que j'envie encore
Ma mère tenait l'emploi de soubrette
Et leur troupe ne roulait pas sur l'or
Mais ma sœur et moi étions à la fête
Blottis dans un coin derrière un décor
Tous ces comédiens, chargés de famille
Mais dont le français était hésitant
Devaient accepter pour gagner leur vie
Le premier emploi qui était vacant
Conduire un taxi ou tirer l'aiguille
Ça pouvait se faire avec un accent
Après le travail les jours de semaine
Ces acteurs frustrés répétaient longtemps
Pour le seul plaisir un soir par quinzaine
De s'offrir l'oubli des soucis d'argent
Et crever de trac en entrant en scène
Devant un public formé d'émigrants
Quand les fins de mois étaient difficiles
Quand il faisait froid, que le pain manquait
On allait souvent honteux et fébriles
Au Mont de piété où l'on engageait
Un vieux samovar, des choses futiles
Objets du passé, auxquels on tenait
On parlait de ceux morts près du Bosphore
Buvait à la vie, buvait aux copains
Les femmes pleuraient et jusqu'aux aurores
Les hommes chantaient quelques vieux refrains
Qui venaient de loin, du fond d'un folklore
Où vivaient la mort, l'amour et le vin
La, la, li, la, la, la
La, la, li, la, la, la
Di, la, la, la
Nous avions toujours des amis à table
Le peu qu'on avait, on le partageait
Mes parents disaient "ce serait le diable
Si demain le ciel ne nous le rendait"
Ce n'est pas là geste charitable
Ils aimaient les autres et Dieu nous aidaient
Tandis que devant poêles et casseroles
Mon père cherchait sa situation
Jour et nuit, sous une lampe à pétrole
Ma mère brodait pour grande maison
Et nous, avant que d'aller à l'école
Faisions le ménage et les commissions
Ainsi j'ai grandis, sans contrainte aucune
Me soûlant la nuit, travaillant le jour
Ma vie a connu diverses fortunes
J'ai frôlé la mort, j'ai trouvé l'amour
J'ai eu des enfants qui m'ont vu plus d'une
Fois me souvenir le coeur un peu lourd
La, la, li, la, la, la
Rue Monsieur Le Prince au Quartier Latin
Dans un milieu de chanteurs et d'artistes
Qu'avaient un passé, pas de lendemain
Des gens merveilleux, un peu fantaisistes
Qui parlaient le Russe et puis l'Arménien
 

 

Caricatures

 

ANGE  

CD Caricatures 

1972  

12:36

 

Auteur/Compositeur :   Christian Décamps, Francis Décamps

  Caricatures, la chanson, se trouve dans le premier disque éponyme du groupe de Belfort qui venait de sortit le 45 tours Tout feu tout flamme produit par Gérard Manset. Les frères Francis ( musique et clavier) et Christian (paroles et chant) Descamps emmenaient cette formation de rock progressif qui n'eut pas d'équivalent en France. Si l'inspiration de Yes, King Crimson et Génésis est évidente dans ce premier album (et les suivants) , on y trouve aussi un style personnel et une inspiration indéniable dans les textes transcendés par la verve de leur auteur. On découvrait la voix chevrotante et la diction un peu emphatique de Chritian Descamps, comédien et chanteur halluciné. Certains parleraient d'inspiration surréalisme, d'autres de démence...c'est selon. En tout cas, Caricatures est très réussi et le talent de Christian est incontestable, lui qui en 2022 reste toujours le fer de lance du groupe cinquantenaire.  . Dans la veine chanson fleuve, Ange allait offrir d'autres perles au fil des albums, dont les 9 minutes du  Cimetière des arlequins et les 13 minutes de L'hymne à la vie. Une carrière culminant avec Au de-là du délire en 1974. Autour de Christian Décamps, le seul rescapé de la grande époque. A ses côtés , Tristan Décamps, son fils, assurera   la relève.

 


 

         Une péniche de joie
Glisse sur mon lacrymal.
J'ai singé Attila pissant du haut d 'son cheval !
J'imitais la Madone
Enveloppée dans sa carapace.
J'ai poussé Al Capone
A vendre sa cuirasse.
Un mercenaire fébrile
Pleurait dans mon mouchoir,
Pendant qu'une imbécile
Récurait son couloir,
Son couloir de batailles,
Rayé de zèbres fourbes,
Quadrillant la mitraille
En épousant la courbe.
J'ai vu le président
Cracher dans un calice !
J'ai vu le président
Se soigner les varices...
J'ai vu son firmament
Se dépuceler d'étoiles...
J'ai vu mes trente-deux dents
Se transformer en poils !
"Ta Gueule !" me dit l'apôtre,
"Au Cul !" me dit l'évêque !
Si tu veux être des nôtres
Il faut clouer ton bec !
Ah ! Si c'était si simple,
Je fermerais ma gueule...
Je prendrais l'aller simple ;
J'aimerais y aller seul.
Et puis je suis content,
Et puis vous êtes contents,
Et puis ils sont contents,
Alors je suis content
Que tout le monde soit content...

Ecoutez-moi, Caricatures !
Serpents de magnésium
Rampant mon œsophage,
S'enivrant de l'hélium
De l'estomac du sage,
Du sage que je suis
Ou que je croyais être...
Suis-je un monstre de suie ?
Je croyais me connaître...
Le soleil s'est couché
Sur un autre univers.
J'ai inventé le pied
Qui culbutera la Terre.
Caricatures de vie,
Montagnes de mensonges,
Suis-je un monstre de suie ?
Ne serais-je qu'un songe ?

Comme un légo

 
Alain Bashung
 CD Bleu pétrole
 2008
9:04
 
 
Auteur : Gérard Manset
Compositeur : Gérard Manset
 
Bien que chantée par Alain Bashung dans l'album Bleu pétrole , la chanson Comme un légo a pourtant été écrite par un autre habitué de ce format : Gérard Manset, qui l'a reprise également sur son album Manitoba ne répond plus mais en tronquant une partie du texte . Résultat Bashung en a fait du Bashung et Manset en a fait du Manset ! Quelle surprise... Ce qui est plus surprenant c'est que passé la soixantaine, Gérard Manset soit devenu plus présent dans les médias, en distribuant des chansons à Bashung, Raphael, Florent Pagny, Julien Clerc, ou Jane Birkin quelques années plus tôt...et en apparaissant même dans Paris Match. "Voyez-vous ces êtres vivants?". Qui l'eut cru ! Bashung pour sa part n'interprète pas ici l'une des chansons qui m'ont le plus accroché dans sa carrière. A mon goût, on est pas tout à fait dans la veine de Madame rêve, Fantaisie militaire, Mes prisons, Danse d'ici, ou même des très anciennes Rebel ou du hit Vertige de l'amour. Mais cet énorme musicien qui pratiquement à lui seul a su faire évoluer les marques de la chanson française depuis les années 80 restait encore au top en 2008. Et jamais là où on l'attendait.
 

 

 

 
C'est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
Et tous ce petits êtres qui courent
Car chacun vaque à son destin
Petits ou grands
Comme durant des siècles égyptiens
Péniblement
À porter mille fois son point sur lui
Sous la chaleur et dans le vent
Dans le soleil ou dans la nuit
Voyez-vous ces êtres vivants?
Voyez-vous ces êtres vivants?
Voyez-vous ces êtres vivants?
Quelqu'un a inventé ce jeu
Terrible, cruel, captivant
Les maisons, les lacs, les continents
Comme un lego avec du vent
La faiblesse des tout-puissants
Comme un lego avec du sang
La force décuplée des perdants
Comme un lego avec des dents
Comme un lego avec des mains
Comme un lego
Voyez-vous tous ces humains?
Danser ensemble à se donner la main
S'embrasser dans le noir à cheveux blonds
À ne pas voir demain comme ils seront
Car si la Terre est ronde
Et qu'ils s'agrippent
Au delà c'est le vide
Assis devant le restant d'une portion de frites
Noir sidéral et quelques plats d'amibes
Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Pourquoi ne me réponds-tu jamais?
Sous ce manguier de plus de dix mille pages
À te balancer dans cette cage
À voir le monde de si haut
Comme un damier, comme un lego
Comme un imputrescible radeau
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
C'est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans
On voit de toutes petites choses qui luisent
Ce sont des gens dans des chemises
Comme durant ces siècles de la longue nuit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit



 

Il n'y a plus rien


 
Léo Ferré
CD Il n'y a plus rien
 1972
15:55
 

Auteur : Léo Ferré

Compositeur : Léo Ferré
 
  La chanson Il n'y a plus rien semble être une "chose" exceptionnelle ! Mais est-ce bien une chanson, même fleuve ? Sans doute si l'on répond "oui" à la question "le rap est-il de la chanson". Car ce long poème que Léo éructe pendant presque 16 minutes, c'est un rap "Made in Léo" dans sa veine cracheur de mots. La même veine qu'on retrouve dans Le chien mais aussi dans les autres titres de l'album Il n'y a plus rien ( L'oppression, Night & Day, Ne chantez pas la mort tournent tous autour de 7 minutes ) et dans bien d'autres enregistrements de la même époque ( comme L'espoir). Un accompagnement musical épique habille parfaitement ce bouillonnement du vieux lion à la crinière blanche qu'il était devenu après 68, sans jamais déparer mais sans jamais prendre le dessus sur les mots. On ne sort pas indemne de la première écoute de cette tirade, surtout quand on est encore peu habitué aux textes dévastateurs de ce grand auteur, comme c'était mon cas en 1971. J'imagine ce que cela pouvait donner sur scène : une tempête, un tsunami. 
 

 

Ecoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture.

Immobile... L'immobilité, ça dérange le siècle. C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps.
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti...
C'est vraiment con, les amants.

IL n'y a plus rien

Camarade maudit, camarade misère...
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes.
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu'elle accrochait dans les buissons pour y aller de sa progéniture.
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère,
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi ?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un qui dort dans ton lit,
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée

Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs...
Tu pourras lui dire :"T'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence.
Dis, t'as pas honte ? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs ?
Espèce de conne !
Et barre-toi !
Divorce-la
Te marie pas !
Tu peux tout faire :
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la conservation du titre...

Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir !

Il n'y a plus rien

Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre,
Il en a marre qu'on lui dise : " Sale blanc !"

A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Etait bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus...
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs !

Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen !

Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant

Les mots... toujours les mots, bien sûr !
Citoyens ! Aux armes !
Aux pépées, Citoyens ! A l'Amour, Citoyens !
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos ainés !
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup d'aile d'oiseau ne les entame même pas... C'est vous dire !

Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien

Il n'y a plus rien

Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes !
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça !

Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi !
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
N'en déplaise à la littérature

Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
A l'encyclopédie, les mots !
Et nous partons avec nos cris !
Et voilà !

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Je suis un chien ?
Perhaps !
Je suis un rat
Rien

Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue

Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des gens :
"Apprends donc à te coucher tout nu !
"Fous en l'air tes pantoufles !
"Renverse tes chaises !
"Mange debout !
" Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe

Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle révolte, alors,
Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit !
Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de leur inspiration.
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le certificat d'études et le cathéchisme ombilical.
C'est vraiment dégueulasse
Ils te tairont, les gens.
Les gens taisent l'autre, toujours.
Regarde, à table, quand ils mangent...
Ils s'engouffrent dans l'innomé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et le rot ponctuel !

La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des réacteurs abdominaux, comme à l'atterrissage : on rote
et on arrête le massacre.
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu se souvenant du frichti, de l'organe, du repu.

Mes plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée

Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes...
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons !
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais ?

Heureusement il y a le lit : un parking !
Tu viens, mon amour ?
Et puis, c'est comme à la roulette : on mise, on mise...
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser quand même
D'ailleurs, c'est ce qu'on fait !
Je comprends les joueurs : ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre...
Et ils mettent, ils mettent...
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette...

Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir

Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé

Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux,
dans les bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination

Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait
On l'enterra de mémoire

Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit !

Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques rien à la frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches

Tout dans la tronche !

- Vous n'avez rien à déclarer ?
- Non.
- Comment vous nommez-vous ?
- Karl Marx.
- Allez, passez !

Nous partîmes... Nous étions une poignée...
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets d'imagination dans le passé
Ecoutez-les... Ecoutez-les...
Ca rape comme le vin nouveau
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlotte ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule...
Toutes des concierges !
Ecoutez-les...

Il n'y a plus rien

Si les morts se levaient ?
Hein ?

Nous étions combien ?
Ca ira !

La tristesse, toujours la tristesse...

Ils chantaient, ils chantaient...
Dans les rues...

Te marie pas
Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve

Ne vote pas


0 DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté

Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire

Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien

Il n'y a plus rien

Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins bipèdes et roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux-là à qui tu pourras dire :

Monsieur !
Madame !

Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner VOS sous,
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses...
Et vous comptez vos sous ?
Pardon.... LEURS sous !

Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs...

Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes
Cravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui descend
des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
A un point donné
A heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes.
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître


tellement vous êtes beau

Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs et qui
racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur
et nivellateur qui empêche toute identification...
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les
champions de l'anonymat.

Les révolutions ? Parlons-en !
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent,
Parce qu'elles vous ont toujours servis,
Ces révolutions de "l'histoire",
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous interesser,
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit qu'il s'en prépare une autre.
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne,
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d'exilés, entouré du prestige des déracinés.
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il,
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue", comme vous dites,
à un "ordre nouveau" comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et on vous salue.

Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions.
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier,
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas ?
Et les "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous dérangent aussi,
on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les "vôtres" dans un drapeau.

Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras !
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis.
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés,
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur qu'on vous montre du doigt,
dans les corridors de l'ennui, et qu'on se dise : "Tiens, il baisse, il va finir par se plier, par ramper"
Soyez tranquilles ! Pour la reptation, vous êtes imbattables ; seulement, vous ne vous la concédez
que dans la métaphore... Vous voulez bien vous allonger mais avec de l'allure,
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière,
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres,
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes,
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer
votre visage,
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement,
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères,
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire,
Dans votre grand monde,
A la coupe des bien-pensants.

Moi, je suis un bâtard.
Nous sommes tous des bâtards.
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre congé.
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien

Il n'y a plus rien

Et ce rien, on vous le laisse !
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,
Nous, on peut pas.
Un jour, dans dix mille ans,
Quand vous ne serez plus là,
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,
Le sourire des bêtes enfin détraquées,
La priorité à Gauche, permettez !

Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout

Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer, montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos réglements d'administration pénitenciaire
De vos décrets
De vos prières, même,
Tous ces microbes...
Soyez tranquilles,
Nous aurons déjà des machines pour les révoquer

NOUS AURONS TOUT

DANS DIX MILLE ANS

 
Texte repris de su site de SCL : http://leo-ferre.eu/html-i/ilnyaplusrien.html

Plume d'ange

 

 

Claude Nougaro

   CD Plume  d'ange 

1977

13:56

Auteur : Claude Nougaro

Compositeur : Claude Nougaro

            

 Plume d'ange, c'est une perle absolue, peut-être même inégalable…sauf qu'on peut lui contester le titre de chanson. Claude Nougaro a écrit un texte fabuleux qu'il raconte avec un talent et une truculence rare. La musique qui l'accompagne a été composée par Jean-Claude Vannier, l'un des plus remarquables compositeur et arrangeur des années 80 ( entre autre chose compositeur de Mélody Nelson avec Gainsbourg ). Le texte, dense et fantastique nous amène au bout d'un quart d'heure dans une sorte de bonheur...ou la folie n'est pas très loin. Même si l'emballage musicale est splendide, il faut quand même reconnaitre qu'on est pas loin du conte moderne. D'ailleurs, Claude Nougaro reprenait ce long texte dans le spectacle " Les fables de ma fontaine" qu'il donna sur les routes de France dans les dernières années de sa vie. Je l'écoute régulièrement depuis presque 45 ans et elle fait naître en moi toujours le même ravissement, le même plaisir.bUn musicien et une chanson fleuve d'exception !


 



 

Le fantôme de Pierrot

                            
 
Maxime Le Forestier
 CD N° 4
1976
11:36
 
 

Auteur : Maxime Le Forestier

Compositeur : Patrice Caratini

Je dévoile d'entrée de jeu mes cartes puisque je considère cette chanson Le Fantôme de Pierrot comme étant une parmi les plus réussies de la catégorie. Pour être honnête, c'est ma grande admiration pour cette chanson qui a déclenché mon envie de consacrer un blog aux chansons fleuves. Le texte et le chant de Maxime alliés à la mélodie et aux arrangements de Patrice Caratini font mouche ! On y retrouve tous les ingrédients d’une chanson sur près de 12 minutes : texte fourni et inspiré, mélodie recherchée, chant aérien, arrangements musicaux avec une floppée d'instruments. Comme, il l’a dit lui-même, Maxime Le Forestier avait donné carte blanche à sa plume et à Patrice Caratini qui était son fidèle contrebassiste depuis au moins 3 années ( et qui l'est redevenu pour sa tournée 2008) , sans se soucier du format final de la chanson. C'était encore l'époque où il pouvait tout se permettre, sans se préoccuper du reste, même si le vent était en train de tourner. Récemment, dans un interview radio, il a regretté de ne pas avoir porté cette chanson jusqu'à 21 ou 22 minutes, en y rajoutant une partie instrumentale ! Il l'interpréta chaque soir et pendant un mois lors de son spectacle au Cirque d’hiver en septembre 1976, donc avant même la sortie du disque…Alors, sagesse du fou ou folie du sage ? En tout cas un mimodrame d'anthologie.
 

 

 Assis sur son croissant de lune,
Pierrot attend
Que quelqu'un lui rende sa plume.
Depuis le temps,
Depuis le temps qu'on la lui vole
Pour envoyer des petits mots, Pierrot va prendre la parole.
Écoutez bien Pierrot.

Assis sur son croissant de lune
En spectateur,
Depuis sa luisante tribune
De nos malheurs,
Pierrot a tant de choses à dire
Que si vous ne vous dépêchez
De lui donner de quoi écrire,
Pierrot va se mettre à crier :

"J'étais vivant, Messieurs, Mesdames,
J'étais vivant
Quand je jouais les mélodrames
De pantomimes en mimodrames.

J'étais vivant,
Et si je taisais souvent,
C'est que l'amour est bien plus beau Et qui, à force de se taire,
S'en va rêver tout seul.

Pourtant j'étais fils de révolte
Avec mes comédiens,
De Colombine désinvolte
En singe d'Arlequin,
La pièce n'est pas si gentille
Quand le valet
Vole la fortune et la fille
De celui qui le paie.

Tu as bien applaudi, merci
Tu t'es levé, tu es parti.

T'étais vivant, Messieurs, Mesdames,
T'étais vivant,
Quand tu venais aux mélodrames
De pantomime en mimodrames.
T'étais vivant
Et si tu payais pas souvent
Au moins, tu savais t'en aller
Quand le spectacle était mauvais.

Eh, tu as l'air de quoi dans ton fauteuil,
A écouter bêler ce gratteur de guitare ?
Regarde-moi, et puis compare
Si tu as encore un œil.

A moi tous ceux qui me ressemblent,
Les valets, les piétons,
Timides, muets, ceux qui tremblent
Devant tous les bâtons,
C'était des coups de pied aux fesses,
Des cris de joies
Que j'espérais dans cette pièce
Que vous jouez en bas.

Quand le dénouement va venir
Je s'rai trop vieux pour applaudir.

Descends de ton croissant de lune
Juste une fois
Si tu ne veux pas pour des prunes
User ta voix.
Rester là-haut, c'est un peu comme
Si tu criais dans un désert.
Descends de là, si t'es un homme,
Te battre avec la terre.

Assis sur son croissant de lune,
Pierre répond :
"Moi qui ne suis un homme en aucune
De vos façons,

Moi qui suis fait de différences
Tantôt tout blanc, tantôt tout noir
J'arrive au pays des nuances
Tout est grisaille ici ce soir.

Avez-vous regardé d'abord
Le pays qui vous sert de piste.
Je n'ai jamais vu de décor
Si sinistre.
Quel est donc ce décorateur
Pour qui le sinistre est de mise
Et qui ne sait qu'une couleur :
La grise ?
Quel est donc ce peintre maudit
Qui a dessiné sur la toile
La toile de fond de Paris
En y oubliant les étoiles ?

Comme ton costume a changé !
Où sont les carreaux de ta veste ?
Arlequin, ton masque est jeté,
Tu restes,
Sans ton chapeau, sans tes manies,
Tu restes le perdant qui gagne
Mais qui ne gagne que sa vie
Au bagne.

Comme ton allure a changé !
Plus de sauts, plus de cabrioles.
Tu vas au boulot résigné.
C'est ton auto qui te console.

Colombine, quel est l'auteur
Qui a pondu pour toi ce rôle
Ni gai, ni simple, ni charmeur
Ni drôle ?
Depuis qu'un tas d'honnêteté
T'a prise avec lui en ménage,
Femme dans cette société
Tu nages.
Tu nages dans tes draps de lit,
Tu nages dans l'eau de vaisselle.
A tant te battre, tu oublies
Que de mon temps tu étais belle.

On ne te vole plus ton or,
Harpagon, Pantalon, Cassandre.
Il a bien grandi le trésor
A prendre
Et tu possèdes, maintenant
Que tu as pris goût aux affaires,
Les rois, les hommes, les enfants
La terre.
Comme on ne te reconnaît plus
Sous tes sociétes anonymes,
Jamais les coups de pied au cul
Ne peuvent trouver leur victime

Et toi tu joues, Messieurs, Mesdames,
Et toi tu joues
Ce lamentable mélodrame
De pantomime en mimodrame.

Et toi tu joues.
Es-tu sûr d'arriver au bout ?
Sans t'apercevoir à la fin.
Que ce contrat ne valait rien
Eh, tu as l'air de quoi dans ton habit.
S'il suffisait d'avoir un peu de maquillage
Pour se changer cœur et visage,
Tu serais un gênie.

Tu sais, c'est pas écrit d'avance,
Juste un petit dessin.
Ça s'improvise, ça se danse,
Tu peux changer la fin.
Cesse de rabâcher ton texte,
Mauvais acteur.
Saute sur le premier prétexte
Si tu n'as pas trop peur.
De mon silence, enfin, je sors.
Écoute-moi, fais un effort.

Tu vas mourir, Messieurs, Mesdames,
Tu vas mourir
Pour terminer le mélodrame
De pantomime en mimodrame.
Tu vas mourir
Sans avoir jamais su sourire.
Le rideau tombe et demain soir
On te remplace et ça repart.

Va-t'en sur ton croissant de lune,
Pierrot bavard.
Tu vas déchaîner la rancune
Du désespoir.
Si t'es venu dire à la terre
Que cette vie mene au trépas,
Reste muet, reste lunaire.
On ne t'en voudra pas.

Assis sur son croissant de lune,
Pierrot s'en va.