Auteur : William Sheller
Dans la chanson française on trouve quelques objets incongrus : des chansons qui durent 7,8, 10, 15 minutes ou plus et qui de ce fait se voient irrémédiablement rejetées par les radios et les autres médias, quelques soient leurs qualités. Les Chansons Fleuves présentées ici sont marquées (démarquées ?) par ce format anormal dans les médias actuels.
Le témoin magnifique
Autobiographie
Rue Monsieur Le Prince au Quartier Latin
Dans un milieu de chanteurs et d'artistes
Qu'avaient un passé, pas de lendemain
Des gens merveilleux, un peu fantaisistes
Qui parlaient le Russe et puis l'Arménien
Nanti d'une voix que j'envie encore
Ma mère tenait l'emploi de soubrette
Et leur troupe ne roulait pas sur l'or
Mais ma sœur et moi étions à la fête
Blottis dans un coin derrière un décor
Mais dont le français était hésitant
Devaient accepter pour gagner leur vie
Le premier emploi qui était vacant
Conduire un taxi ou tirer l'aiguille
Ça pouvait se faire avec un accent
Ces acteurs frustrés répétaient longtemps
Pour le seul plaisir un soir par quinzaine
De s'offrir l'oubli des soucis d'argent
Et crever de trac en entrant en scène
Devant un public formé d'émigrants
Quand il faisait froid, que le pain manquait
On allait souvent honteux et fébriles
Au Mont de piété où l'on engageait
Un vieux samovar, des choses futiles
Objets du passé, auxquels on tenait
Buvait à la vie, buvait aux copains
Les femmes pleuraient et jusqu'aux aurores
Les hommes chantaient quelques vieux refrains
Qui venaient de loin, du fond d'un folklore
Où vivaient la mort, l'amour et le vin
La, la, li, la, la, la
La, la, li, la, la, la
Di, la, la, la
Le peu qu'on avait, on le partageait
Mes parents disaient "ce serait le diable
Si demain le ciel ne nous le rendait"
Ce n'est pas là geste charitable
Ils aimaient les autres et Dieu nous aidaient
Mon père cherchait sa situation
Jour et nuit, sous une lampe à pétrole
Ma mère brodait pour grande maison
Et nous, avant que d'aller à l'école
Faisions le ménage et les commissions
Me soûlant la nuit, travaillant le jour
Ma vie a connu diverses fortunes
J'ai frôlé la mort, j'ai trouvé l'amour
J'ai eu des enfants qui m'ont vu plus d'une
Fois me souvenir le coeur un peu lourd
Dans un milieu de chanteurs et d'artistes
Qu'avaient un passé, pas de lendemain
Des gens merveilleux, un peu fantaisistes
Qui parlaient le Russe et puis l'Arménien
Caricatures
ANGE
CD Caricatures
1972
12:36
Caricatures, la chanson, se trouve dans le premier disque éponyme du groupe de Belfort qui venait de sortit le 45 tours Tout feu tout flamme produit par Gérard Manset. Les frères Francis ( musique et clavier) et Christian (paroles et chant) Descamps emmenaient cette formation de rock progressif qui n'eut pas d'équivalent en France. Si l'inspiration de Yes, King Crimson et Génésis est évidente dans ce premier album (et les suivants) , on y trouve aussi un style personnel et une inspiration indéniable dans les textes transcendés par la verve de leur auteur. On découvrait la voix chevrotante et la diction un peu emphatique de Chritian Descamps, comédien et chanteur halluciné. Certains parleraient d'inspiration surréalisme, d'autres de démence...c'est selon. En tout cas, Caricatures est très réussi et le talent de Christian est incontestable, lui qui en 2022 reste toujours le fer de lance du groupe cinquantenaire. . Dans la veine chanson fleuve, Ange allait offrir d'autres perles au fil des albums, dont les 9 minutes du Cimetière des arlequins et les 13 minutes de L'hymne à la vie. Une carrière culminant avec Au de-là du délire en 1974. Autour de Christian Décamps, le seul rescapé de la grande époque. A ses côtés , Tristan Décamps, son fils, assurera la relève.
J'ai singé Attila pissant du haut d 'son cheval !
J'imitais la Madone
Enveloppée dans sa carapace.
J'ai poussé Al Capone
A vendre sa cuirasse.
Un mercenaire fébrile
Pleurait dans mon mouchoir,
Pendant qu'une imbécile
Récurait son couloir,
Son couloir de batailles,
Rayé de zèbres fourbes,
Quadrillant la mitraille
En épousant la courbe.
J'ai vu le président
Cracher dans un calice !
J'ai vu le président
Se soigner les varices...
Se dépuceler d'étoiles...
J'ai vu mes trente-deux dents
Si tu veux être des nôtres
Il faut clouer ton bec !
Ah ! Si c'était si simple,
Je fermerais ma gueule...
Je prendrais l'aller simple ;
J'aimerais y aller seul.
Et puis je suis content,
Et puis vous êtes contents,
Et puis ils sont contents,
Alors je suis content
Que tout le monde soit content...
Ecoutez-moi, Caricatures !
Serpents de magnésium
Rampant mon œsophage,
S'enivrant de l'hélium
De l'estomac du sage,
Du sage que je suis
Ou que je croyais être...
Suis-je un monstre de suie ?
Je croyais me connaître...
Le soleil s'est couché
Sur un autre univers.
J'ai inventé le pied
Qui culbutera la Terre.
Caricatures de vie,
Montagnes de mensonges,
Suis-je un monstre de suie ?
Ne serais-je qu'un songe ?
Comme un légo
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
Et tous ce petits êtres qui courent
Petits ou grands
Comme durant des siècles égyptiens
Péniblement
Sous la chaleur et dans le vent
Dans le soleil ou dans la nuit
Voyez-vous ces êtres vivants?
Voyez-vous ces êtres vivants?
Voyez-vous ces êtres vivants?
Terrible, cruel, captivant
Les maisons, les lacs, les continents
Comme un lego avec du vent
Comme un lego avec du sang
La force décuplée des perdants
Comme un lego avec des dents
Comme un lego avec des mains
Comme un lego
Danser ensemble à se donner la main
S'embrasser dans le noir à cheveux blonds
À ne pas voir demain comme ils seront
Et qu'ils s'agrippent
Au delà c'est le vide
Assis devant le restant d'une portion de frites
Noir sidéral et quelques plats d'amibes
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Vêtues d'acier, vêtues de noir
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
Comme un lego mais sans mémoire
À te balancer dans cette cage
Comme un damier, comme un lego
Comme un imputrescible radeau
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
Comme un insecte mais sur le dos
Avec de belles poignées d'argent
La lunette d'un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedans
Ce sont des gens dans des chemises
Comme durant ces siècles de la longue nuit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit
Dans le silence ou dans le bruit
Il n'y a plus rien
Auteur : Léo Ferré
Compositeur : Léo FerréEcoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture.
Immobile... L'immobilité, ça dérange le siècle. C'est un peu le sourire de
la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps.
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti...
C'est vraiment con, les amants.
IL n'y a plus rien
Camarade maudit, camarade misère...
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes.
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la
bouffe et des culs semestriels qu'elle accrochait dans les buissons pour y
aller de sa progéniture.
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des
chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère,
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi ?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un qui dort dans ton lit,
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée
Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de
nerfs...
Tu pourras lui dire :"T'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide
sénescence.
Dis, t'as pas honte ? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de
fleurs ?
Espèce de conne !
Et barre-toi !
Divorce-la
Te marie pas !
Tu peux tout faire :
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la conservation du
titre...
Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir !
Il n'y a plus rien
Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre,
Il en a marre qu'on lui dise : " Sale blanc !"
A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Etait bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus...
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs !
Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen !
Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant
Les mots... toujours les mots, bien sûr !
Citoyens ! Aux armes !
Aux pépées, Citoyens ! A l'Amour, Citoyens !
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos
ainés !
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup d'aile d'oiseau ne
les entame même pas... C'est vous dire !
Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien
Il n'y a plus rien
Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes !
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça !
Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages
reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas
risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi !
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
N'en déplaise à la littérature
Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
A l'encyclopédie, les mots !
Et nous partons avec nos cris !
Et voilà !
Il n'y a plus rien... plus, plus rien
Je suis un chien ?
Perhaps !
Je suis un rat
Rien
Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue
Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des
gens :
"Apprends donc à te coucher tout nu !
"Fous en l'air tes pantoufles !
"Renverse tes chaises !
"Mange debout !
" Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à la fenêtre en
gueulant des gueulantes de principe
Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle
révolte, alors,
Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de
l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien
Il n'y a plus rien... plus, plus rien
Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit !
Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de leur
inspiration.
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le
certificat d'études et le cathéchisme ombilical.
C'est vraiment dégueulasse
Ils te tairont, les gens.
Les gens taisent l'autre, toujours.
Regarde, à table, quand ils mangent...
Ils s'engouffrent dans l'innomé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et le rot ponctuel !
La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des réacteurs
abdominaux, comme à l'atterrissage : on rote
et on arrête le massacre.
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu
se souvenant du frichti, de l'organe, du repu.
Mes plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée
Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes...
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons !
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais ?
Heureusement il y a le lit : un parking !
Tu viens, mon amour ?
Et puis, c'est comme à la roulette : on mise, on mise...
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser quand même
D'ailleurs, c'est ce qu'on fait !
Je comprends les joueurs : ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire
mettre...
Et ils mettent, ils mettent...
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette...
Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir
Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé
Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux,
dans les bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination
Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait
On l'enterra de mémoire
Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit !
Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques rien à la
frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches
Tout dans la tronche !
- Vous n'avez rien à déclarer ?
- Non.
- Comment vous nommez-vous ?
- Karl Marx.
- Allez, passez !
Nous partîmes... Nous étions une poignée...
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets
d'imagination dans le passé
Ecoutez-les... Ecoutez-les...
Ca rape comme le vin nouveau
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlotte ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule...
Toutes des concierges !
Ecoutez-les...
Il n'y a plus rien
Si les morts se levaient ?
Hein ?
Nous étions combien ?
Ca ira !
La tristesse, toujours la tristesse...
Ils chantaient, ils chantaient...
Dans les rues...
Te marie pas
Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve
Ne vote pas
0 DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté
Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire
Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien
Il n'y a plus rien
Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins bipèdes et roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux-là à qui tu pourras dire :
Monsieur !
Madame !
Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner
VOS sous,
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses...
Et vous comptez vos sous ?
Pardon.... LEURS sous !
Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs...
Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes
Cravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui descend
des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
A un point donné
A heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes.
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
tellement vous êtes beau
Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs et qui
racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur
et nivellateur qui empêche toute identification...
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les
champions de l'anonymat.
Les révolutions ? Parlons-en !
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent,
Parce qu'elles vous ont toujours servis,
Ces révolutions de "l'histoire",
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous interesser,
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit qu'il s'en prépare
une autre.
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne,
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d'exilés, entouré du prestige des déracinés.
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il,
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue", comme vous dites,
à un "ordre nouveau" comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et
on vous salue.
Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions.
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier,
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas ?
Et les "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous dérangent
aussi,
on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les
"vôtres" dans un drapeau.
Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras !
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis.
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés,
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur qu'on vous
montre du doigt,
dans les corridors de l'ennui, et qu'on se dise : "Tiens, il baisse, il va
finir par se plier, par ramper"
Soyez tranquilles ! Pour la reptation, vous êtes imbattables ; seulement,
vous ne vous la concédez
que dans la métaphore... Vous voulez bien vous allonger mais avec de
l'allure,
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière,
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres,
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes,
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais
décidé à empourprer
votre visage,
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement,
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères,
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire,
Dans votre grand monde,
A la coupe des bien-pensants.
Moi, je suis un bâtard.
Nous sommes tous des bâtards.
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise à vous est
sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre
congé.
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien
Il n'y a plus rien
Et ce rien, on vous le laisse !
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,
Nous, on peut pas.
Un jour, dans dix mille ans,
Quand vous ne serez plus là,
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,
Le sourire des bêtes enfin détraquées,
La priorité à Gauche, permettez !
Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout
Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer,
montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos réglements d'administration pénitenciaire
De vos décrets
De vos prières, même,
Tous ces microbes...
Soyez tranquilles,
Nous aurons déjà des machines pour les révoquer
NOUS AURONS TOUT
DANS DIX MILLE ANS
Plume d'ange
Claude Nougaro
CD Plume d'ange
1977
13:56
Auteur : Claude Nougaro
Plume d'ange, c'est une perle absolue, peut-être même inégalable…sauf qu'on peut lui contester le titre de chanson. Claude Nougaro a écrit un texte fabuleux qu'il raconte avec un talent et une truculence rare. La musique qui l'accompagne a été composée par Jean-Claude Vannier, l'un des plus remarquables compositeur et arrangeur des années 80 ( entre autre chose compositeur de Mélody Nelson avec Gainsbourg ). Le texte, dense et fantastique nous amène au bout d'un quart d'heure dans une sorte de bonheur...ou la folie n'est pas très loin. Même si l'emballage musicale est splendide, il faut quand même reconnaitre qu'on est pas loin du conte moderne. D'ailleurs, Claude Nougaro reprenait ce long texte dans le spectacle " Les fables de ma fontaine" qu'il donna sur les routes de France dans les dernières années de sa vie. Je l'écoute régulièrement depuis presque 45 ans et elle fait naître en moi toujours le même ravissement, le même plaisir.bUn musicien et une chanson fleuve d'exception !
Le fantôme de Pierrot

Auteur : Maxime Le Forestier
Pierrot attend
Que quelqu'un lui rende sa plume.
Depuis le temps,
Depuis le temps qu'on la lui vole
Pour envoyer des petits mots, Pierrot va prendre la parole.
Écoutez bien Pierrot.
Assis sur son croissant de lune
En spectateur,
Depuis sa luisante tribune
De nos malheurs,
Pierrot a tant de choses à dire
Que si vous ne vous dépêchez
De lui donner de quoi écrire,
Pierrot va se mettre à crier :
"J'étais vivant, Messieurs, Mesdames,
J'étais vivant
Quand je jouais les mélodrames
De pantomimes en mimodrames.
J'étais vivant,
Et si je taisais souvent,
C'est que l'amour est bien plus beau Et qui, à force de se taire,
S'en va rêver tout seul.
Pourtant j'étais fils de révolte
Avec mes comédiens,
De Colombine désinvolte
En singe d'Arlequin,
La pièce n'est pas si gentille
Quand le valet
Vole la fortune et la fille
De celui qui le paie.
Tu as bien applaudi, merci
Tu t'es levé, tu es parti.
T'étais vivant, Messieurs, Mesdames,
T'étais vivant,
Quand tu venais aux mélodrames
De pantomime en mimodrames.
T'étais vivant
Et si tu payais pas souvent
Au moins, tu savais t'en aller
Quand le spectacle était mauvais.
Eh, tu as l'air de quoi dans ton fauteuil,
A écouter bêler ce gratteur de guitare ?
Regarde-moi, et puis compare
Si tu as encore un il.
A moi tous ceux qui me ressemblent,
Les valets, les piétons,
Timides, muets, ceux qui tremblent
Devant tous les bâtons,
C'était des coups de pied aux fesses,
Des cris de joies
Que j'espérais dans cette pièce
Que vous jouez en bas.
Quand le dénouement va venir
Je s'rai trop vieux pour applaudir.
Descends de ton croissant de lune
Juste une fois
Si tu ne veux pas pour des prunes
User ta voix.
Rester là-haut, c'est un peu comme
Si tu criais dans un désert.
Descends de là, si t'es un homme,
Te battre avec la terre.
Assis sur son croissant de lune,
Pierre répond :
"Moi qui ne suis un homme en aucune
De vos façons,
Moi qui suis fait de différences
Tantôt tout blanc, tantôt tout noir
J'arrive au pays des nuances
Tout est grisaille ici ce soir.
Avez-vous regardé d'abord
Le pays qui vous sert de piste.
Je n'ai jamais vu de décor
Si sinistre.
Quel est donc ce décorateur
Pour qui le sinistre est de mise
Et qui ne sait qu'une couleur :
La grise ?
Quel est donc ce peintre maudit
Qui a dessiné sur la toile
La toile de fond de Paris
En y oubliant les étoiles ?
Comme ton costume a changé !
Où sont les carreaux de ta veste ?
Arlequin, ton masque est jeté,
Tu restes,
Sans ton chapeau, sans tes manies,
Tu restes le perdant qui gagne
Mais qui ne gagne que sa vie
Au bagne.
Comme ton allure a changé !
Plus de sauts, plus de cabrioles.
Tu vas au boulot résigné.
C'est ton auto qui te console.
Colombine, quel est l'auteur
Qui a pondu pour toi ce rôle
Ni gai, ni simple, ni charmeur
Ni drôle ?
Depuis qu'un tas d'honnêteté
T'a prise avec lui en ménage,
Femme dans cette société
Tu nages.
Tu nages dans tes draps de lit,
Tu nages dans l'eau de vaisselle.
A tant te battre, tu oublies
Que de mon temps tu étais belle.
On ne te vole plus ton or,
Harpagon, Pantalon, Cassandre.
Il a bien grandi le trésor
A prendre
Et tu possèdes, maintenant
Que tu as pris goût aux affaires,
Les rois, les hommes, les enfants
La terre.
Comme on ne te reconnaît plus
Sous tes sociétes anonymes,
Jamais les coups de pied au cul
Ne peuvent trouver leur victime
Et toi tu joues, Messieurs, Mesdames,
Et toi tu joues
Ce lamentable mélodrame
De pantomime en mimodrame.
Et toi tu joues.
Es-tu sûr d'arriver au bout ?
Sans t'apercevoir à la fin.
Que ce contrat ne valait rien
Eh, tu as l'air de quoi dans ton habit.
S'il suffisait d'avoir un peu de maquillage
Pour se changer cur et visage,
Tu serais un gênie.
Tu sais, c'est pas écrit d'avance,
Juste un petit dessin.
Ça s'improvise, ça se danse,
Tu peux changer la fin.
Cesse de rabâcher ton texte,
Mauvais acteur.
Saute sur le premier prétexte
Si tu n'as pas trop peur.
De mon silence, enfin, je sors.
Écoute-moi, fais un effort.
Tu vas mourir, Messieurs, Mesdames,
Tu vas mourir
Pour terminer le mélodrame
De pantomime en mimodrame.
Tu vas mourir
Sans avoir jamais su sourire.
Le rideau tombe et demain soir
On te remplace et ça repart.
Va-t'en sur ton croissant de lune,
Pierrot bavard.
Tu vas déchaîner la rancune
Du désespoir.
Si t'es venu dire à la terre
Que cette vie mene au trépas,
Reste muet, reste lunaire.
On ne t'en voudra pas.
Assis sur son croissant de lune,
Pierrot s'en va.
La conscience

Auteur : Victor Hugo
A coup sûr l'un des artistes les plus inattendus dans cette liste d'une cinquantaine de chansons fleuves ! Je ne pense pas qu'une seule de ses chansons n'aient dépassé la norme tout au long de la quarantaine d'album que Georges a enregistré depuis 1964. Un stakhanoviste discret au talent reconnu par ceux de sa génération, dont je suis. Il lui a fallu malgré tout emprunter un texte de l'immense Victor Hugo pour se retrouver ici. Dans son CD de compositions personnelles On rêve, on rêve, Il a aussi mis en musique le poème La conscience, ce merveilleux poème issu du recueil la Légende des siècles, œuvre paru en 1860 et écrit par Hugo depuis sa retraite de Guernesey. Georges Chelon s'applique avec talent à interpréter ce récit mythique des étapes de la fuite de Caïn, et de la présence incontournable de l’œil de Dieu. Sa diction y est parfaite. Il allait faire preuve de cette même qualité lors de sa mise en musique des Fleurs du Mal, l’œuvre de Charles de Baudelaire. Musique fort bien adaptée. Très bel ouvrage !.
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
L’oeil à la même place au fond de l’horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l’on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours ! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.