Château rouge

Abd Al MALIK
CD Château rouge
2010
12:06
  
 
 
 Auteur : Abd Al Malik
Compositeur : Gérard Jouannest
 
  
Pour moi Abd Al Malek est la crème de cette génération née dans les banlieues mais qui est parvenu , par son talent d'auteur et son humanité, à établir un pont avec la chanson française, loin des raps narcissiques et basiques de nombreux autres artistes. S'il se réfère aux mêmes  conditions de vies et d'enfance des quartiers déshérités, il le fait avec émotion, musicalité, intelligence. Retrouver à ses côtés Gérard Jouannest, l'accompagnateur de Jacques Brel ainsi que de Juliette Gréco dont il était l'époux, ajoute une touche émouvante à sa démarche. Même si Château rouge, l'album laisse une grande place à l'électro et aux musiques africaines,   Château rouge la chanson longue de 12 minutes, le dernier titre de l'album, nous amenait ailleurs, dans une citadelle imprenable...  
 
 

 

 
 
Ca faisait presque une demi-heure qu'il était seul maintenant
Ses potes étaient rentrés chez eux et lui était resté assis sur ce banc
Il fumait sa dernière cigarette et le soleil s'était couché depuis longtemps
Il salua au loin un mec qu'il ne connaissait pas vraiment
Et se demanda ou est-ce que ce type pouvait bien aller si tard
Lui-même s'était levé tôt, vers 14 heures
Et au PMU avait joué au billard
Avec des gars qu'étaient plus jeunes que lui de plusieurs années
Comme il fut une gloire il n'y a pas si longtemps
Nombreux tiraient encore une certaine fierté d'être vus à ses côtés
Ce qu'il avait bu et fumé entre 15 heures et 18 heures aurait mis K.O n'importe qui
Mais lui était toujours frais et pimpant
Question d'habitude et peut-être de génération
C'est ce qu'il s'est dit en tout cas quand deux gamins de sa bande improvisée
Vomirent presque simultanément juste en-dessous de la télé que personne ne regardait
Il quitta le PMU, seul, et s'abrita bientôt sous un abri-bus
Parce qu'il se mit à pleuvoir pendant qu'il marchait, en plus

Septième étage de la tour en forme de demi-lune
Appartement de gauche en face du vieux vide-ordure
Un vieux couple d'origine malgache regarde les infos sur le câble
Côte à côte, enfoncé dans un épais canapé beige
Leurs fils cadet maintenant en prison leur avait offert ce téléviseur volé
Ce qui les rendait à leur insu coupables de recel
Le voisin célibataire et efféminé de l'étage du dessous
Donnait régulièrement des coups sur le mur de son salon, attenant à l'appartement d'à côté
Parce qu'une furieuse rumba-rock congolaise depuis plusieurs minutes rugissait
Il (notre personnage principal) était revenu dans cette fête africaine dans sa chambre d'enfant
Ses parents n'avaient pas demandé d'explications, il allait rester temporairement
Il était allongé sur un lit étroit et regardait le plafond
Ses vêtements étaient encore un peu mouillés et lui cuvait difficilement
Il savait comment faire depuis longtemps pour ne penser à rien
Il se disait avec d'autres mots que philosopher
Donc avoir une réflexion morale dans ce monde, cela faisait plus de mal que de bien
Alors il s'abstenait quant au cogito mais se pétait le crâne à l'artificiel
En utilisant toujours la même recette : beuh, shit, whisky et/ou Heineken
 
Il se leva du lit, se jeta au sol et fit quelques pompes
Il s'essouffla vite mais avait donc la preuve de ne pas être dans une tombe
Il imputa cette croyance à l'oxygène qu'il respirait difficilement
Vu que ce réflexe était l'apanage des vivants
Il se réinstalla dans son lit et s'endormit sans remords et sans transition
Comme d'habitude il se réveilla quelques heures après, amer
Se rendant toujours compte en regardant autour que sa déchéance était réelle
Il n'était définitivement plus une star du rap
Plus une star tout court si l'on voulait être exact
Mais il était vivant et même s'il se tuait sciemment c'était devenu une obsession
Ses souvenirs de gloire étaient momentanées
Comme d'habitude , lorsqu'il savait qu'il lui restait de quoi fumer
Il écouta autour de lui, la nuit était profonde
Il roula un joint et, dès la première bouffée, eut le même sourire que la Joconde
Joint à la bouche, il enfila son blouson, ses vielles Nike Air Jordan
Ferma la porte de l'appartement et dévala d'abord les escaliers, puis la rue
Comme.. comme..comme s'il était.. en cavale

Il avait couru jusque de l'autre côté du périphérique
Et s'arrêta brusquement plié en deux par l'anxiogène qui lui brûlait la poitrine
Il était à présent entre les numéros 42 et 54 de la rue de Clignancourt
A égale distance de la peur du lendemain et des cicatrices que laissent l'amour
Il ne savait pas qu'ici se dressa un jour un grand édifice de briques rouges
Au centre d'un grand et beau parc, qui n'existe plus, à la luxuriante verdure
Trônait il y a une paire de siècles et des poussières cette bâtisse couleur pourpre
Comme un symbole pensé par l'homme de tout ce qui à la fois s'oppose et s'épouse
Lui, n'en avait rien à battre, vivait le temps et l'espace comme une injure
Jusque très récemment il s'était vécu un peu comme en Amérique
Mais à l'époque ou Malcolm Little était encore bien loin d'être Malcolm X
Il jouait en National mais c'était convaincu qu'il évoluait en première ligue
Parce que dire la vérité était à celui qui savait le mieux se mentir
Et puis
Les gens ne t'aiment pas c'est l'image qu'ils te renvoient
Tu finis par ne plus t'aimer toi-même
Et tu détestes même tous ceux qui ont un peu d'amour pour eux-mêmes
Donner existence aux fantasmes les plus dingues
Faire porter à nos colères adolescentes de drôles de fringues
Crier au complot parce qu'on n'achète plus nos complaintes
C'est l'incohérence qu'a finalement porté plainte
Et puis..et puis
Des fois c'est de toutes petites choses qu'ont vraiment de l'importance
Y-a juste à se souvenir de la simplicité de notre enfance
Se voir dans une glace dans le HLM de ses parents
Et se rendre compte qu'on est vieux
Quand un type qu'a pourtant une barbe nous appelle Monsieur
Se noyer dans l'envie et crier "c'est injuste" comme "au secours"
Regarder aux alentours et se demander qui pourrait sauver l'Amour
Faire de la musique pour préserver ses rêves
Mais que faire quand tous nos rêves ont fini par se taire
Se souvenir d ses vies antérieures en s'imaginant notre futur
Confondre la normalité avec la pire des injures
Se.. se rendre compte qu'on apprend toujours trop peu de l'Histoire
Le cœur affamé vidé d'un trop plein de désespoir
Et puis
Les gens ne t'aiment pas tu finis par ne plus t'aimer toi-même
Et tu détestes mêmes ceux qu'ont un peu d'amour pour eux-mêmes
Soudain il reprit sa course sans pourquoi, sans direction
Courir plus vite que la vie, quitte à en perdre la raison...
Ca faisait presque une demi-heure qu'il était seul maintenant
Ses potes étaient rentrés chez eux et lui était resté assis sur ce banc
Il fumait sa dernière cigarette et le soleil s'était couché depuis longtemps
Il salua au loin un mec qu'il ne connaissait pas vraiment
Et se demanda ou est-ce que ce type pouvait bien aller si tard
Lui-même s'était levé tôt, vers 14 heures
Et au PMU avait joué au billard
Avec des gars qu'étaient plus jeunes que lui de plusieurs années
Comme il fut une gloire il n'y a pas si longtemps
Nombreux tiraient encore une certaine fierté d'être vus à ses côtés
Ce qu'il avait bu et fumé entre 15 heures et 18 heures aurait mis K.O n'importe qui
Mais lui était toujours frais et pimpant
Question d'habitude et peut-être de génération
C'est ce qu'il s'est dit en tout cas quand deux gamins de sa bande improvisée
Vomirent presque simultanément juste en-dessous de la télé que personne ne regardait
Il quitta le PMU, seul, et s'abrita bientôt sous un abribus
Parce qu'il se mit à pleuvoir pendant qu'il marchait, en plus

Vous savez, je m'attends chaque jour à partir
Mais je ne m'attendais pas ce soir-là à mourir

Contrairement à ce que l'on dit, ce ne sont pas des images mais des mots qui ont défilés dans ma tête au moment de ma mort
Je partais, mais je n'étais pas triste, d'ailleurs je ne comprenais déjà plus ce mot. Personne... oui personne n'allait me manquer. Il y a une évidence dans la mort comme lorsqu'on vient au monde, je suppose. C'est juste qu'a présent c'était fini, bel et bien fini, il n'y avait rien de poignant là-dedans. Et puis ma famille... oui, ma famille et puis tout ceux que j'appelais amis, et puis ceux que j'avais croisé et ceux que je ne connaissais pas..et puis les gens autour de moi... ah oui, il n'y a plus personne! Ce n'est même pas douloureux, je ne les vois déjà plus, je ne vois déjà plus. Je tourne la page, mon cœur est un château, une citadelle imprenable, je..je tourne la page, mon cœur est un château , une citadelle, une citadelle, une citadelle imprenable
 

Épilogue

Jean FERRAT

CD Ferrat 1995

  1995

7’33

 

Auteur : Louis Aragon

Compositeur : Jean Ferrat

Un poème d'Aragon dans le second disque que Jean Ferrat a consacré au poète.. " La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent ". Celui qui nous a quitté en 2010 aura mis en musique une trentaine de poèmes de Louis Aragon. Celui-ci, long poème écrit en vers de 18 pieds, a été repris dans le disque paru en 1995 et il terminait sa production de chansons enregistrés en studio. La voix y est moins nette qu'à ces débuts mais la force de cet Épilogue de la vie réunit 2 poètes à la fois engagés et remplis de doutes  

"J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon cœur quatre fois y battre

Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant"

 



La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent
Les courants d’air claquent les portes et pourtant aucune chambre n’est fermée
Il s’y assied des inconnus pauvres et las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien qu’on n’en peut plus baisser la herse

Quand j’étais jeune on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j’y ai cru comme j’y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu’il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le vent change

J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon cœur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n’aurez rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes

Bien sûr bien sûr vous me direz que c’est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans l’engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est-ce qu’on peut avoir le droit au désespoir le droit de s’arrêter un moment

J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon cœur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables
Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien

Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu cela que d’autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l’Acropole et qu’on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l’histoire

J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon cœur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n’est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l’ensemble des chants

Le drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu’une voix se taise
Sachez-le toujours le chœur profond reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu’au bout de lui-même Le chanteur a fait ce qu’il a pu
Qu’importe si chemin faisant vous allez m’abandonner comme une hypothèse

J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon cœur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre

Terre-Love

Robert Charlebois     

CD Le Mont Athos

 1971
  8:20
 
   
 
 
Auteur : Alfred Jarry
Compositeur : Pachelbel - Robert Charlebois
 

Quelle est cette chanson improbable qui mêle Alfred Jarry, Pachelbel et Charlebois ?

Pour comprendre Terre-Love, rappelons que Robert Charlebois a approché Franck Zappa dans ces années là, aussi curieux que cela puisse paraître. Alors un canon de Pachelbel allié à un court texte de notre pataphysicien de référence et à une longue dissertation musicale de l’orchestre de Robert nous font aboutir à  Terre-Love, cet essai. Ce n’est pas du niveau de Lindbergh cette bombe musicale lancée en 1968 ni d' Ordinaire écrit par sa femme Mouffe sur les états d'âmes du chanteur, mais ce n’est pas étranger à l’image de chanteur échevelé, colporteur de poésie populaire et de rythmes électriques. je l'ai préféré non sans hésitation à  Fu man Chu, la chanson qui donne son nom à l'album de 1972, une fresque épique de 10 minutes plus scénique et fortement inspiré aussi du Zorro  d'Henri Salvador, version rock. Allez, appelons ça une curiosité dans la discographie de ce chanteur hors pair !